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Énergie éolienne : du renouvelable qui fait débat

 

Un déferlement de haine s’est abattu sur les éoliennes

terrestres au printemps dernier, avant les élections

régionales, à l’approche de la présidentielle depuis.

Justifié ou pas ?

 

 

Vedette télévisuelle s’il en est, Stéphane Bern n’y est pas allé de main morte dans les colonnes du journal Le Figaro juste avant les élections régionales de juin 2021 :

Les éoliennes, accusées de tous les maux ! Il les tient pour « responsables d’un drame écologique en ruinant la biodiversité », estime qu’elles « polluent gravement la nature et détruisent le patrimoine naturel et bâti de la France […], qu’[elles] défigurent » et constituent « une négation de l’écologie ».

Et ce n’est pas fini : l’animateur télé décrit l’éolien comme une énergie « inutile, coûteuse, non recyclable » et, s’en prenant à la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, il s’insurge contre « les procédures de recours [qui] ont été largement décapitées… comme les oiseaux migrateurs dans les pales de vos machines infernales ».

Vent debout, l’extrême droite et le président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, se sont empressés de renchérir, soutenus par une pléiade de commentateurs.

Pourtant, saturer l’espace médiatique de propos anti-éoliens radicaux n’y a rien fait : les Français y restent largement favorables.

 

UNE BONNE IMAGE

 

Réalisé au cours de l’été dernier sur un échantillon représentatif de 2.708 personnes, après ces charges virulentes, un sondage Harris Interactive apporte un désaveu aux discours les plus véhéments.

La perception positive des éoliennes demeure fortement majoritaire au sein de la population : 73 % des Français en ont une bonne image et ils sont à peine moins, 71 %, à souhaiter leur déploiement.

Cette adhésion monte même à 80 % pour les personnes ayant leur résidence principale ou secondaire à moins de 10 kilomètres d’un parc éolien. Et 89 % de ces répondants déclarent alors que le développement de cette énergie renouvelable est nécessaire pour limiter notre impact sur le dérèglement climatique. 

« Depuis plusieurs mois, les éoliennes font l’objet de vifs débats, voire sont les cibles de violentes controverses. Ce sondage nous montre que la relation entre les Français et l’énergie éolienne n’est pas aussi polarisée qu’il y paraît », s’est réjoui Arnaud Leroy, président de l’Agence de la transition écologique (Ademe) et commanditaire de l’enquête avec le ministère de la Transition écologique.

Néanmoins, localement, les recours sont nombreux. Bien que les préfets, qui délivrent les autorisations d’exploiter les parcs, retoquent, en moyenne, un tiers des projets déposés, l’hostilité d’une partie des habitants des sites concernés ou d’associations anti-éoliennes se manifeste à chaque fois.

Sauf exception, ceux-ci engagent une action en justice. Les tribunaux administratifs enchaînent les jugements, les cours administratives d’appel prenant le relais quand les opposants ont été déboutés en première instance, parfois avant le Conseil d’État.

Ces procédures de contentieux bloquant les décisions pendant de longues années, la règle a changé. Désormais, les recours se font directement auprès de la cour administrative d’appel, avec une suite possible en Conseil d’État.

Illustration dans l’Isère : Le parc éolien de Dionay a été lancé, en 2014, avec l’accord de l’intercommunalité Saint-Marcellin-­Vercors Isère et de Saint-Antoine-l’Abbaye, la commune où doivent s’implanter 11 mâts qui alimenteront 28 000 foyers en électricité.

L’association Chambaran sans éolienne industrielle a déposé un recours devant la cour administrative d’appel de Lyon (Rhône), qu’elle a perdu en décembre dernier. Son président, Michel Lambert, ancien cadre dans le nucléaire chez EDF, a depuis saisi la juridiction supérieure. 

« L’éolien est une énergie qui n’est ni écologique ni verte, assure-t-il, nous sommes contre en général, et à Saint-Antoine-l’Abbaye en particulier. Le Dauphiné est une succession de collines et de vallées, ces machines sont disproportionnées par rapport à nos paysages. » 

Parfois, l’éolien coûte une élection : À Saint-­Gervais, un village du Gard, ­l’ancien maire était favorable à un parc de sept turbines et à ses retombées fiscales. Raymond Chapuy, qui avait pris la tête de l’opposition au projet, a remporté le scrutin municipal en 2020 sur une liste qui avait exprimé clairement son désaccord.

 

 

DE LONGUES BATAILLES EN JUSTICE

 

Les décisions de justice définitives interviennent après de longues années de lutte, et avec des issues contradictoires. La preuve avec quelques arrêts récents.

En juillet 2021, la cour administrative d’appel de Nantes, (Loire-Atlantique), a annulé le permis de construire de trois éoliennes à Trédias, dans les Côtes-d’Armor, aux motifs qu’elles créaient une pollution visuelle et une sensation d’écrasement ; le tribunal a considéré leur vue oppressante pour les habitants des hameaux situés en contrebas. Ce jugement a été confirmé depuis par le Conseil d’État.

Dans le Morbihan, les adversaires au projet de 17 aérogénérateurs dans la forêt de Lanouée ont, à l’inverse, échoué. En avril dernier, le Conseil d’État a tranché en sa faveur, jugeant qu’il « répond[ait] à un intérêt public majeur » compte tenu du « caractère fragile de l’approvisionnement électrique de la Bretagne », sa production locale très faible ne couvrant que 8 % de ses besoins.

La haute instance ajoutait que la forêt de Lanouée « permet[tait] l’implantation d’un parc à plus d’un kilomètre des habitations, situation particulièrement rare en Bretagne, où l’on observe un étalement de l’urbanisation et un habitat dispersé ».

Confirmant que les conflits peuvent s’éterniser, le 30 décembre dernier, le Conseil d’État a clos un long feuilleton judiciaire à Guern, dans le Morbihan : Il a exigé le démontage des trois mâts qui y sont installés illégalement depuis… plus de 15 ans.

Face à l’argument, souvent brandi lors des réunions publiques, de l’entreprise capitaliste, voire étrangère, qui empoche les bénéfices, l’éolien participatif et citoyen se développe.

En Anjou, dans le Maine-et-Loire, Mauges Communauté possède 28 turbines et envisage d’implanter 13 autres unités. Si les premiers parcs appartiennent à des industriels, les plus récents sont détenus par des habitants.

À chaque fois, quelques centaines d’entre eux entrent dans le capital, et deviennent actionnaires aux côtés des collectivités locales.

L’énergie produite est revendue à Enercoop, un fournisseur d’électricité verte organisé en coopérative. Il s’approvisionne exclusivement auprès de producteurs d’énergies renouvelables répartis sur le territoire.

Roche aux Fées Communauté, en Ille-et-Vilaine, aligne, pour sa part, 11 machines produisant 35 % de la consommation électrique du territoire. La perspective de construire deux autres parcs part, là encore, d’une volonté citoyenne. 

« Le permis de construire nous a été accordé en 2018, souligne Bernard Morel, président de la SAS Féeole qui fédère les copropriétaires des éoliennes. Trois riverains ont attaqué, ils ont été déboutés, mais un irréductible a fait appel. » 

Alors que 167 particuliers contribuent au financement, le recours d’un seul retarde pour l’instant le commencement des travaux. « Une minorité militante et très structurée conteste toujours les projets même s’ils sont portés par les résidents », note Gilles Vannson, à la tête de la SAS Plesséole.

Cette structure cofinance et assure la gouvernance d’un nouveau parc avec des acteurs publics locaux et des syndicats d’énergie à Plessé (Loire-Atlantique), une commune de Redon Agglomération (Ille-et-Vilaine). 

« Ici, on habite quasiment tous à Plessé, notre projet prend tous les impacts en compte. Bien que l’on ait réalisé plus de campagnes sur les chauves-­souris qu’exigé, évité l’implantation en zone humide et qu’on s’engage à poser des petits volets sur les pales si le bruit gêne, on compte encore quelques opposants. »

 

 

ATTENTION AU TROP-PLEIN SUR UN SECTEUR !

 

Dans l’Aude, un département pionnier fort de 300 éoliennes, tout avait bien commencé.

Leur nombre a pourtant fini par indisposer, la lutte est devenue la règle face aux nouveaux projets et le préfet en refuse, en particulier sur les sommets de la montagne Noire, déjà bien (trop) pourvus en mâts.

Le territoire dispose cependant d’un gros atout : Ayant été lancés très tôt, beaucoup de ses parcs approchent de leur fin de vie. « De nouvelles turbines plus puissantes seront installées, il en faudra donc moins sur le même site, explique Maryse Arditi, présidente de l’association environnementale Eccla. 

Cette solution nous convient. Nous demandons toutefois un suivi de mortalité des espèces l’année qui précède la fermeture du parc actuel, pour être sûrs que l’emplacement ne nuise pas aux rapaces. Cette situation est moins préoccupante concernant les chauves-souris, car la mortalité chute si les éoliennes s’arrêtent à 20 heures, quand le vent souffle peu. »

Cependant, ce remplacement site pour site, avec moins de mâts délivrant des puissances et des productions très supérieures, ne suffira pas, tant la France a pris de retard sur l’éolien, une technologie que RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité et filiale d’EDF, qualifie de « mature, aux coûts de production faibles, susceptible de fournir des volumes d’électricité importants ».

Il reste à décider où implanter les nouvelles unités. Actuellement, les Hauts-de-France et le Grand Est concentrent, à eux seuls, la moitié des éoliennes de l’Hexagone. Ailleurs, la répartition se révèle très inégale.

En Bourgogne-Franche-Comté, elles se situent essentiellement en Côte-d’Or et dans le sud de l’Yonne. En Nouvelle-Aquitaine, à 50 % dans les Deux-Sèvres, le solde dans les autres départements de l’ancienne région ­Poitou-Charentes, mais quasiment aucune dans l’ex-région Aquitaine.

Même en supposant que l’éolien en mer se développe, atteindre la neutralité carbone en 2050 risque d’être impossible si l’éolien terrestre demeure anecdotique ou absent sur la majeure partie du territoire.

 

En Allemagne • 30.000 mâts et pas d’opposition !

 

Malgré une superficie inférieure de 35 % à celle de l’Hexagone, l’Allemagne compte 30.000 éoliennes ; la France, seulement 8.500. 

« Berlin a acté sa volonté de sortir du nucléaire dès les années 2000, rappelle Stéphanie Jallet, chargée de mission éolien à l’Office franco-allemand pour la transition énergétique (Ofate). L’élan vers les énergies renouvelables a été aussitôt massif et porté par les citoyens. » 

Les ménages ont fortement investi dans l’éolien et le photovoltaïque, à tel point que plus de la moitié de la capacité implantée outre-Rhin a été détenue par des habitants et des agriculteurs actionnaires. 

« Depuis, le rythme de croissance a baissé, mais le gouvernement actuel entend accélérer de nouveau leur développement, poursuit la spécialiste. Il faudra que 2 % du territoire soit réservé aux parcs éoliens pour parvenir à une puissance installée de plus de 100 gigawatts (GW) en 2030, contre 56 aujourd’hui. À titre de comparaison, celle de la France s’élève à 18,5 GW ! » 

Afin de renforcer l’adhésion de la population, les mâts ne clignotent plus la nuit, sauf à l’approche d’un avion. Une mesure qui les maintiendra éteints jusqu’à 98 % du temps.

La France y travaille aussi. « Des expérimentations sont lancées, le balisage circonstancié [flashs lumineux seulement à l’approche d’un avion] donne de bons résultats, annonce Jérémy Simon, directeur général adjoint du Syndicat des énergies renouvelables. Nous sommes très engagés sur ce dossier et plutôt optimistes. »

 

 

Ce que l’on entend sur les éoliennes

 

Au cours de cette enquête, qui a été l’occasion de nombreux échanges, nous avons été frappés d’entendre partout, de la part d’interlocuteurs peu favorables aux éoliennes, les mêmes arguments à leur propos. Qu’en est-il ?

 

  • “Elles coûtent trop cher”

Effectivement, les premières générations d’éoliennes ont été fortement soutenues par l’argent public.

Ces subventions pèsent d’ailleurs encore lourd dans la taxe CSPE que tous les ménages paient via leur facture d’électricité.

Depuis, en raison du développement massif de l’éolien hors de nos frontières, ses prix ont chuté. Le mégawattheure (MWh) est tombé à 60 € pour l’éolien terrestre.

À titre de comparaison, l’électricité nucléaire de l’EPR de Flamanville coûtera autour de 110 € le MWh, selon la Cour des comptes.

 

  • “Elles tournent par intermittence : ça ne sert à rien”

Leur intermittence n’est pas un problème.

Que ce soit le photovoltaïque, l’hydraulique, l’éolien ou le nucléaire, toutes les énergies productrices d’électricité sont complémentaires.

Aucune ne fonctionne en permanence, pas même le nucléaire. Cet hiver, 16 réacteurs étaient à l’arrêt.

 

  • “Elles produisent peu”

Ce n’est pas ce que disent les chiffres.

Les éoliennes situées dans les Hauts-de-France ont fourni 24,6 % de la consommation régionale d’électricité en 2020, celles du Grand Est voisin, 22,6 %.

Par ailleurs, elles produisent plus en hiver qu’en été… lorsque les besoins d’électricité sont à leur maximum.

 

  • “Elles font du bruit”

En effet, les éoliennes émettent un bruit de fond, dû à des vibrations et au souffle du vent dans les pales.

Mais, à la distance minimale de 500 mètres, il est inférieur à 35 décibels.

C’est faible et souvent couvert par celui du vent.

Dans certaines configurations, il reste néanmoins perceptible. S’il est gênant, l’exploitant doit brider ses éoliennes.

 

  • “Elles émettent des ondes dangereuses pour la santé”

Les éoliennes génèrent des infrasons, « qui ne dépassent pas les seuils d’audibilité », conclut l’Agence de sécurité sanitaire de l’alimentation et de l’environnement (Anses), après avoir fait réaliser des mesures de bruit à proximité de parcs.

Ces résultats « ne justifient ni de modifier les valeurs d’exposition au bruit existantes, ni d’introduire des limites spécifiques aux infrasons et basses fréquences sonores », ajoute-t-elle.

 

  • “Elles ruinent la valeur des maisons”

Il n’existe, à ce jour, aucune étude récente sur la question en France, l’Agence de transition écologique (Ademe) y travaille. Sa publication est très attendue. 

Selon la Fnaim, premier syndicat des professionnels de l’immobilier, « le sujet est délicat car, s’il y avait un impact, il serait assez faible et, pour l’identifier, il conviendrait d’enlever de l’analyse tous les autres impacts plus importants sur les prix de la pierre ».

 

  • “Elles ne se recyclent pas”

93 % du poids d’une éolienne se recyclent entièrement.

Seules les pales, composées de matériaux composites, posent encore problème. Actuellement, elles sont broyées et utilisées comme combustible.

 

  • “Elles tuent les oiseaux”

« Les éoliennes tuent, en moyenne, sept oiseaux par an, explique Geoffroy Marx, responsable énergies renouvelables et biodiversité à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), avec de très fortes disparités d’un parc à l’autre. 

Les plus anciens ont parfois été implantés dans des zones à fort risque pour les rapaces.

Depuis, la situation s’améliore avec des études d’impact approfondies et des suivis de mortalité, qui permettent d’agir en cas de problème.

Lorsque l’activité des chauves-souris est importante, on peut, par exemple, arrêter les pales pour éviter la mortalité.

Toutefois, les éoliennes étant de plus en plus grandes, on continue à surveiller de près leurs impacts. »

 

  • “Elles défigurent le paysage”

D’après le sondage Harris Interactive de l’automne dernier (lire l’article principal), 67 % des moins de 35 ans jugent les éoliennes « plutôt belles » ou « très belles », tandis que 55 % des plus de 65 ans les trouvent « plutôt laides », voire « très laides ». 

C’est ce qu’on appelle un conflit de générations !

  • “Elles vont couvrir la France”

D’ici à 2050, y compris en passant à 100 % d’énergies renouvelables, la France comptera moins d’éoliennes que l’Allemagne actuellement.

En effet, pour une puissance donnée, il en faut de moins en moins.

Dans l’Aude, par exemple, sur la commune de Sigean, un parc de 15 turbines, soit 8,8 mégawatts (MW), en fonctionnement depuis les années 1990, laissera place à un nouveau site de seulement 10 mâts, soit une capacité de 30 MW.

 

Quechoisir.org – 24 février 2022 – Élisabeth Chesnais